Mon ange, je te sens en mon cœur ébréché.
J’ai relu notre poème à 4 mains : les nuages ont la mémoire
courte.
«Elle avait une robe de grand vent». Le vent t’a emporté,
loin de moi, loin de nous.
Mon cœur est ébréché, pleure des larmes de sang.
Les larmes du peintre qui jamais plus ne peindra ses nymphéas
Du photographe qui jamais plus ne saisira ton beau sourire, ne l’imprimera
pour te l’offrir.
Mon ange, j’écoute en moi ce vide que tu nommes «disponibilité»
Que tu nommes «Amour»
Que tu nommes «Je te vois».
Coulent mes larmes, une à une, une à une.
Ruisseau, torrent, fleuve, qui rendent hommage à ton immense beauté.
À ton cœur lui aussi ébréché par le silence
de ton père, par la violence de tes aïeuls qui ne veulent pas
que tu les dises, que tu dises leur ignorance, leur lâcheté,
leur si grande violence. Leurs terribles imprécations à ton
égard.
Mon ange, je t’ai haï de partir si vite, si tôt, alors que
tu avais promis d’être toujours là. Pour moi, pour nous,
tes amoureux, tes enfants, tes si grands amis.
Mon ange, mes larmes rendent hommage à ta terrible beauté, ton
courage sans limite, ta droiture essentielle. Tes si précieux dons
qui font de toi un être unique, oh, si unique. Permettant à chacun
de voir ce qui le constitue, pointant l’enfant, là le sadique,
là le courage, là la victime vengeresse, là le cœur
aimant, parfois trop aimant, à s’y perdre, sans idée que
cela soit mal, sans idée de le juger.
Juste voir.
Voir comme il est étrangement plus facile de regarder ses «défauts»
que d’accepter ses dons, d’accepter qui nous sommes, d’accepter
notre beauté, tant est grande la peur de la solitude.
Mon ange, tu m’as trahi, chante Alain, notre Bashung tant aimé
que nous avons pleuré ensemble.
Non, tu ne m’as jamais trahi. L’enfant en moi, fidèle à
son père, Pierre, me l’a fait croire si fort, me le fait croire
encore, alors que tu n’es plus là, car de lui, il n’a appris
qu’à se comparer. Appris à être exclusif, afin de
se protéger de sa grande blessure de solitude. Il était si seul,
mon père, Pierre.
Mon ange, tu m’as dit un jour : «Je suis la vie.»
Je t’ai répondu par un mot : «oui.»
Tu es la vie.
Tu es partie, me laissant dans l’inconnu de tous ces jours à
vivre sans toi, apprendre à être moi, sans toi. Que j’en
ai peur, parfois terreur.
Non, je ne suis pas seul. Si, je suis seul, les deux vivent en moi.
Mon ange entre mes bras, tu y es, tu n’y es pas, les deux vivent en
moi.
Non, tu ne m’appartiens pas, seul m’appartient mon lien unique
à toi.
Que j’ai peur de le perdre, peur que se dissolve à jamais, dans
ton silence en moi, dans la séparation qui te faisait tant souffrir,
que se dissolve mon si grand amour.
Écoute ma prière, oh Grand Esprit, oh Dieu, Ciel comme tu le
nommais. Ma prière qui monte aux étoiles, au cœur de la
galaxie où, en lumière, tu veilles sur moi, sur Célio,
sur Romain et Pierre, sur Mathias, sur Alain, sur Perrine, sur Yannick, sur
Isabelle, sur Clovis, sur Marie, sur Didier, sur Colin, sur José et
tout ceux qui t’aiment et que tu aimes.
Qui t’aiment et que tu aimes.
Amour.
Non, avec toi, ce mot n’est pas galvaudé, il est puissant mon
aimée, comme tu aimais m’appeler : mon aimé. Qu’il
est puissant ce mot quand c’est toi qui le prononces, tu m’en
appris la signification.
Il a enfin pris son sens dans ma vie, dans notre encontre que je n’espérais
pas. Je m’en sentais parfois indigne, illégitime, de tant d’amour,
tant de confiance, d’être élu de ton cœur, le père
de ton fils, ton compagnon de route en cette vie. Malgré ma violence,
mes plaintes, mes doutes, mon aveuglement.
Mais tu m’as appris, jour après jour, à voir cela. Le
travail n’était pas achevé, il ne l’est sans doute
jamais.
Mon ancre, tu m’appelais, mon phare, je te répondais.
J’ai longé ton corps, épousé ses méandres,
je me suis emporté, transporté.
Que ton corps, ta présence me manque, mon ange, auprès des tiens
désormais, car un ange venu sur terre tu es. Bodhitsava, ermite qui
sans relâche revient enseigner cette humanité souffrante, tu
es compassion.
Tu ne voulais pas partir, oh non, il y avait tant à faire, tant à
vivre, tant à aimer. Mais en toi vivait si fort cette nostalgie, cet
appel, ce besoin de repos.
Tu as posé en cette vie des jalons pour ceux qui pouvaient t’entendre.
Là, enfin, tu l’as dit, tes mots ont rencontré des échos,
ont parlé à des cœurs ouverts. Tes mots joyeux en leur
pure rigueur, dans ta profonde lucidité, ta radicale bienveillance.
Tes mots d’or et de lumière infinie. Tes mots corps à
l’écoute des mille vibrations de l’être, aux senteurs
de l’aurore, à l’homme qui te guide en ce tango, tu ne
danses pas le tango, tu le vis. Des mots cœur à tous liens, avec
ton fils Célio, à la poésie que tu écris, aux
larmes que tu verses.
Il te fallait être forte, mon ange, pour vivre avec moi, il te fallait
parfois hausser le ton, laisser éclater ta colère pour que je
sorte de mes labyrinthes, me décolle de mes personnages. Mais jamais
tu n’as fermé ta porte ;
Jamais je n’ai fermé la mienne.
Elles sont toujours restées ouvertes sur le même palier, et nos
âmes se connaissent.
Toujours elles s’embrassent, toujours.
Je sais que jamais tu ne m’abandonneras, mon ange. Il n’y a que
moi qui puisse m’abandonner.
Olivier