Peut-il y avoir une libre recherche ?
La question de la recherche est ambiguë : comment pourrait-il y avoir une recherche libre alors même qu’elle provient presque toujours d’un sentiment d’insatisfaction, d’incomplétude ? Toute insatisfaction révèle une incapacité à prendre les choses telles qu’elles sont, et par conséquent oriente la recherche. L’orientation indique un choix, le choix une réaction, la réaction un conditionnement.
D’autre part, si on porte un regard honnête sur soi-même,
sur les circonstances et les conditions de sa propre existence quotidienne,
comment peut-on prétendre être pour quoi que ce soit dans la
moindre entreprise, dans la moindre perception ? Quoi qu’il se produise
dans notre vie, qu’il s’agisse de notre univers psychique ou du
monde extérieur, tout survient malgré nous, en dépit
de nous, échappe à notre contrôle, à notre volonté.
Nos émotions, nos sensations, nos pensées, nos désirs,
nos choix, nos décisions importantes s’avèrent finalement
ne pas être produites par un quelconque " soi-même ".
Aucun d’entre nous ne peut prétendre être le créateur
ou le maître de sa vie… Au contraire, l’évidence
s’impose que je ne puis penser, ressentir, éprouver, agir autrement
que comme je pense, ressens, éprouve, agis ; et ce qui me fait penser,
ressentir, éprouver, agir ainsi ne m’appartient pas, n’est
pas sous mon contrôle. Paradoxalement, cette évidence soulage
du poids de celui qu’on se raconte être et de ses fantasmes de
libération, d’éveil, de recherche spirituelle
Evidemment, cette vision donne une autre perspective aux allégations de libre arbitre et à ce qu’on peut dénommer la mégalomanie individuelle commune, qui consiste à se considérer indispensable, responsable. Ce qu’on est, ce qu’on pense, ce qu’on sent, ce qu’on fait, rien de cela ne provient de soi-même ! Aucune raison, donc, d’être fier ou honteux, aucune raison de se lamenter sur de prétendus échecs ou de se glorifier d’apparentes réussites. La vie agit à travers nous, se sert de nous ; le reconnaître libère de la formidable tension générée par la croyance en sa responsabilité individuelle. On ne se prend plus pour Dieu quand on voit que c’est la vie qui fait de nous ce que nous sommes, et que notre soi-disante autonomie est relative à la perspective depuis laquelle on regarde. (…)
Déclarer qu’il n’y a pas de libre recherche ne signifie
pas, comme certains instructeurs spirituels le prétendent, qu’on
va alors mener sa vie ballotté comme une plume par le vent, suivant
nécessairement la pente de ses plus vils instincts (vision par ailleurs
très judéo-chrétienne). Tel que je le vois, on fait ce
qu’on a à faire, ce qu’on sent ou croit devoir faire, mais
on sait qu’en réalité il serait plus juste de dire que
ça se fait plutôt qu’on le fait.
Dans les cas de figure que nous venons de survoler, il apparaît qu’aucune recherche ne peut se prétendre libre.
Ce n’est pas mon langage habituel, mais je pourrais dire, comme certains,
que seul Dieu est.
" Un homme avait dit à un jeune garçon qu’il lui
donnerait un dollar s’il lui disait où se trouvait Dieu. Le garçon
répliqua qu’il lui en donnerait deux s’il lui disait où
Dieu n’est pas. "
Rabbi David Hartman
MARC MARCISZEWER
" Des malentendus de la recherche " revue, 3ème Millénaire, n° 72