1.Seule la connaissance libère

(…)

La recherche spirituelle ne consiste donc pas à essayer de trouver ce qui est au-delà de notre perception, mais à regarder ce qui est là, présent devant nous et qui forme notre réalité. Il n’y a pas d’autre réalité pour nous que celle qui est la nôtre maintenant. C’est pourquoi lorsqu’un disciple demandait à Swâmi Prajnânpad vers quelles études il serait souhaitable qu’il oriente tel ou tel de ses enfants, Swâmi Prajnânpad ne conseillait pas des études de philosophie ou de lettres mais des études de physique ou encore de matières scientifiques. L’étude des faits, de la réalité devait occuper la première place dans la but de " voir ce qui est ".

- C’est la raison pour laquelle Swâmi Prajnânpad s’est intéressé à Freud, l’homme qui a cherché à constituer la science " de ce qui se passe en l’homme " en recherchant les causes dans les événements de sa vie mentale et émotionnelle,(…) Certes aujourd’hui les modèles théoriques de Freud sont contestés, la biologie n’a pas confirmé certains présupposés freudiens mais ce qui en reste et qui est fondamental c’est la démarche :

Ce qui se passe en l’homme s’explique par l’homme lui-même, les événements de sa vie psychique s’expliquent par des relations de cause à effet, ses perturbations de comportement ont leur cause dans le passé(…)

L’homme vit dans l’illusion, il ne voit pas les choses comme elles sont. Il est aveuglé, poussé par des forces dont il n’est pas conscient et qui dirigent sa vie. Freud nous le confirme et il rejoint en cela toute la tradition indienne.

Ces forces sont ses propres émotions qui sont conditionnées par le passé. Se rendre libre du passé, c’est se libérer de l’illusion. On reconnaît, exprimé d’une autre manière, ce qu’affirment les textes indiens : se rendre libre du karma (actions passées) c’est déchirer le voile de la mâyâ (illusion). Tel est le chemin de la délivrance.
La science, pour Swâmi Prajnânpad, ne s’oppose donc pas à la spiritualité. Bien au contraire. La psychanalyse que Swâmi Prajnânpad considère comme une science (…) permet de dénouer, d’assurer le passage d’une conscience bloquée, resserrée sur elle-même vers une conscience épanouie. Swâmi Prajnânpad voit ainsi dans la psychanalyse le chaînon manquant permettant de passer de la conscience ordinaire à la réalisation des plus hautes vérités telles qu’elle sont décrites dans les Grands Enoncés des Upanisad (mahâvâkya).

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2. Connaître c’est être

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- Il s’agit ici d’une connaissance opérationnelle qui a pour but de conduire à la libération de la souffrance. Cette connaissance n’est pas, bien entendu, purement intellectuelle : celle où l’on sait quelque chose tandis que dans le même temps on sent autre chose ou encore on agit autrement. C’est une connaissance où la tête (intellect), le cœur (sentiment) et le corps (action délibérée et consciente) sont unifiés. Quand l’intellect fonctionne tout seul, sans aucun appui sur la réalité ou les faits, cela devient de l’intellectualisme, activité mentale où règnent représentations et imaginations qui entraînent dans leur sillage émotions et actions impulsives.

Les faits (sat) sont là (tat-tva), la vérité (satya) est là, mais elle est refusée. Elle frappe à la porte, mais elle est refoulée, ce qui provoque malaise ou mal-être.

- (…) Le malaise est important parce qu’il est le signe que la vérité ou les faits ne sont pas vus tels qu’ils sont. Quelque chose bloque la vision. Pour la débloquer, il s’agit d’exprimer le malaise : quel est-il ? De quoi est-il fait ? L’expression implique la détente : laisser sortir ce qui vient, permettre au ressenti de s’exprimer, ce qui implique qu’aucun jugement de valeur (Surmoi de Freud) ne vient empêcher l’expression libre. Si cette expression directe est difficile Swâmi Prajnânpad a recours au Lying (lit. en position allongée).

(…)

Cette expression libre n’était pourtant, comme il le disait lui-même, " qu’un tiers du travail ". En effet, l’expression du malaise donne une " forme " à celui-ci : images ou sensations qu’il s’agit maintenant de relier entre elles pour en comprendre la dynamique et en voir la cause. Voir la cause est libérateur.

(…)

Quelle est la cause de l’émotion ? Une idée fausse : la réalité est différente de ce que l’on souhaiterait qu’elle soit. L’autre est différent. Chaque fois que l’on prend l’autre pour ce qu’il n’est pas, on s’expose à recevoir des coups.

La souffrance de chacun lui est personnelle, les circonstances qui lui ont donné naissance sont personnelles, les images qui viennent à notre conscience sont celles de notre propre passé. Pourtant cette souffrance si personnelle nous livre la clé d’une vérité générale : chacun est différent, la source de tout malaise, de toute souffrance est la non-perception de cette différence. Il n’y en a pas d’autre. D’où cette formule lapidaire : voir la différence, c’est voir l’autre tel qu’il est et, à partir de là, pouvoir être un avec lui. C’est la définition même de l’amour. On parle de l’Amour avec un grand A ce qui a pour effet de le mettre sur un piédestal et de l’éloigner dans un univers inaccessible dont l’accès ne nous est pas indiqué. Ici on ne parle pas d’amour mais de différence. Voir la différence est la porte d’accès à l’amour.

3. La connaissance vient de l’expérience

- Voir la différence, voir la réalité telle qu’elle est c’est cela la vérité. Et seule la vérité donne une assise stable. Mais pour voir la différence il faut abandonner le confort douillet de ses préjugés, de ses croyances, de ses habitudes de pensées. Aussi s’agit-il d’un processus de longue haleine dont la durée est déterminée par la quantité d’inconfort que l’on est capable ou prêt à supporter.

La vie se charge de nous déloger des niches que nous nous abritons car la vie est changement. Tout contact avec la vie est source d’expansion et d’élargissement.

 

SWAMI PRAJNANPAD

PSYCHANALYSE ET SAGESSE ORIENTALE

Auteur : Daniel ROUMANOFF © Editions Accarias : L'Originel